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Économie

Quand le réalisme l'emporte sur l'idéologie

Jacques Parizeau, économiste et auteur

 On n'attendait pas grand-chose de la réunion du G20 à Washington, qui s'est tenue à la mi-novembre. Convoquée à la dernière minute, donc sans préparation, portée par le dynamisme du président Sarkozy – qui entrevoyait le système du libéralisme débusqué – et freinée par la prudence du président Bush – qui ne voyait pas la nécessité de jeter le bébé avec l'eau du bain –, la conférence avait une immense signification symbolique. En ayant saccagé leur système financier, les États-Unis ont perdu l'espèce de domination que Wall Street exerçait sur la finance internationale.

L'Europe, en combinant l'expertise de Gordon Brown, la vision de Nicolas Sarkozy et le réalisme d'Angela Merkel, retrouvait une autorité morale qu'elle n'avait pas montrée depuis fort longtemps et, enfin, les grands pays émergents s'installaient à une table à laquelle on aurait dû les inviter depuis des années, en raison de leur étonnante croissance.

Et tout le monde avait peur. Sans doute avait-on pensé pendant quelque temps que si les économies américaine et européenne auraient à faire face à une récession généralisée son ampleur serait limitée par la force de la croissance des pays émergents, de la Chine en particulier. Cet espoir-là a disparu. La chute des Bourses est devenue effondrement lorsqu'on s'est rendu compte non seulement de l'ampleur insensée des engagements des fonds spéculatifs (les hedge funds, en particulier), mais également de l'incapacité des gestionnaires à faire face aux demandes de leurs actionnaires, qui voulaient ravoir leur argent. Les ventes de feu sur les Bourses, l'ignorance de l'ampleur des liquidations à venir, combinée aux ventes à découvert, ont provoqué, certains jours, comme un vent de panique.

Plusieurs institutions financières se sont effondrées et n'ont évité le pire que grâce à des interventions massives de l'État, sous forme de prêts, d'achat d'actions et de garanties en tous genres.

Au Canada, où les banques ont été bien plus prudentes, on leur a tout de même fourni une aide exceptionnelle afin de maintenir leur position concurrentielle malgré l'aide offerte partout ailleurs.

Tout à coup, les plus conservateurs des dirigeants politiques, pour qui l'État n'est jamais aussi beau que quand il est petit, nationalisaient à tour de bras et en venaient à considérer qu'après tout l'association de la privatisation des profits et la socialisation des pertes n'avait rien de répugnant.

Trois principes semblent avoir été acceptés à Washington; le premier consiste à rejeter, face aux crises actuelles, le recours au protectionnisme. Quand ça va mal, la tentation est toujours forte d'exporter son chômage chez le voisin. Mais à ce jeu-là, collectivement, on se ruine. À Washington, tous semblaient en être conscients. Cela ne veut pas dire qu'on va continuer de pousser toujours plus loin l'expansion des diverses formes de libre-échange. Le mouvement va s'arrêter pour un temps, et certains excès, ou des actes perçus comme tels, vont sûrement être corrigés. Mais au moins, en novembre 2008, on semble avoir vu le danger.

On s'est entendu aussi pour accepter que des politiques expansionnistes des États soient nécessaires, même si ça veut dire augmenter temporairement les déficits.

Enfin, on s'est entendu sur la nécessité de revenir à une réglementation sérieuse des institutions financières. En principe, cela semble aller de soi. La déréglementation, considérée comme un dogme, a fait apparaître des situations insensées, mais souvent légales. Parmi la multitude d'exemples qu'on pourrait citer, celui du Traité fiscal entre le Canada et La Barbade est célèbre. Il permet de ne prélever qu'un impôt symbolique à des dizaines de milliards de capitaux canadiens. Chaque pays a aussi ses «beaux cas», si bien qu'on peut se demander si, dans le monde d'aujourd'hui, on peut réglementer efficacement les institutions financières sans détruire les paradis fiscaux.

En tout cas, pendant une fin de semaine, 20 pays se sont entendus pour :

  • résister au protectionnisme;
  • ouvrir le robinet des budgets expansionnistes;
  • essayer d'empêcher les institutions financières de perdre la tête.

On a le goût de leur souhaiter bonne chance.

Ce n'est pas rien…